« Quand l’infodémie santé s’invite dans le débat » : tel était le thème de la rencontre organisée le 24 novembre 2020 par le Festival de la Communication Santé, en partenariat avec l’ISCOM dans le cadre de son grand forum de la communication. L’événement était mené avec le soutien institutionnel d’Elsevier Masson, de la FNIM et de l’Observatoire de l’Information Santé. Une occasion de mieux comprendre le mécanisme des « fake news » à l’heure de la COVID-19, mais aussi de proposer des pistes pour mettre fin aux croyances ou autres théories du complot. Le tout en confrontant les points de vue du Dr Sylvie C. Briand, à la tête de la gestion des risques infectieux à l’OMS (programme de gestion des situations d’urgence sanitaire), de la netnologue Caroline Faillet, fondatrice et directrice du cabinet de conseil Opinion Act, et de la journaliste santé Brigitte Fanny Cohen, ancienne chroniqueuse à France 2, désormais en charge de « la Minute Santé » de l'Observatoire de la Santé. En 2018, Caroline Faillet a publié l’ouvrage Décoder l’info (éditions Bréal). Quant à Brigitte Fanny Cohen, son dernier livre, Demain tous infertiles ? (Editions First), vient de sortir en librairie. Le débat était animé par Eric Phélippeau, vice-président du Festival de la Communication Santé et président d’honneur de la FNIM, préparé en collaboration avec Stéphanie Chevrel, présidente de l’Observatoire de l’Information Santé et directrice éditoriale d’Acteurs de santé Tv et Daniel Rodriguez, président d’Elsevier Masson.
« La COVID-19 est la première pandémie de l’histoire dans laquelle les réseaux sociaux sont utilisés. » C’est le constat de départ du Dr Sylvie C. Briand, quand elle observe la façon dont le grand public a été informé depuis le premier cas de coronavirus recensé à Wuhan, en Chine, le 1er décembre 2019. D’emblée, la directrice de la gestion des risques infectieux à l’OMS y voit une avancée : les nouvelles technologies qui permettent une information instantanée au même moment, n’importe où dans le monde, c’est un progrès. Un pas en avant pour informer en temps réel et permettre à chacun de se protéger, se mettre en sécurité face à un danger sanitaire. Sauf que, dans le même temps, les outils qui permettent d’être connectés à tous, à tout, partout, tout le temps, sont aussi ceux qui délivrent de fausses informations ou autres théories de complots, et favorisent une infodémie. « Les fake news s’amplifient, vite, en plusieurs langues et dans plusieurs pays », commente le Dr Sylvie C. Briand. Ce qui complique toute riposte et tout programme de lutte contre la pandémie. Car le doute plane. La confiance s’étiole. « On ne sait plus ce qui est bénéfique ou pas pour la santé », souligne la médecin de l’OMS. Autrement dit : trop d’information tue l’information. Il faut trier, hiérarchiser, ne pas perdre pied. Facile à dire, mais pas si simple à réaliser. « Car une épidémie, ça provoque beaucoup de peurs », rappelle le Dr Sylvie C. Briand qui compare les incertitudes des uns et les appréhensions des autres à « une nouvelle maladie ». Alors, certes, aujourd’hui, on en sait un peu plus sur les modes de transmission, l’évolution des malades, la pertinence des tests… « mais les informations arrivent au compte-gouttes, même si au bout d’un an à peine, on parle déjà de vaccins », nuance la représentante de l’OMS. Les paradoxes se multiplient. Quand certains applaudissent les soignants, d’autres les stigmatisent en leur reprochant de transmettre le virus… La méfiance est de mise. Et ce d’autant que tous les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux. A cela s’ajoute les désobéissants, à l’instar des anti-masques, par exemple. « D’un côté, nous vivons dans un monde physique et, de l’autre, dans un monde virtuel. Les deux mondes sont connectés, mais nous n’avons pas la même perception de l’information d’un monde à un autre », regrette le Dr Sylvie C. Briand. En effet, les formulations diffèrent, les formats et la vitesse de transmission aussi. La force des réseaux ? Ils véhiculent images et vidéos « qui ont beaucoup plus d’impact sur le public qu’un article dans la presse », insiste le médecin de l’OMS.
« L’information ne doit pas être un frein, mais bien une solution »
« Lors d’une épidémie de fièvre jaune en Angola, une rumeur avait couru selon laquelle si on se faisait vacciner, on ne pouvait plus boire de bière pendant une semaine », se souvient le Dr Sylvie C. Briand. Résultat : « Les hommes ne venaient plus se faire vacciner ! » Les croyances ont la vie dure. Or, dans le domaine de la santé publique, la diffusion de fausses informations peut coûter des vies. Le médecin de l’OMS préconise d’instaurer de « bonnes pratiques » dès que d’aucuns postent et diffusent sur le Web. « L’information ne doit pas être un frein, mais bien une solution face à une épidémie », dit-elle. Dans ce contexte, l’OMS s’est dotée d’outils pour mieux cerner les attentes du public. Ces outils prennent la forme d’une écoute attentive des inquiétudes des uns, des interrogations des autres, « pour mieux prodiguer la bonne information », explique le Dr Sylvie C. Briand. Car cette écoute se base sur l’analyse de chaque mot entendu, pour en décrypter une émotion, en comprendre les racines d’une colère. L’objectif étant d’apaiser en expliquant, de rassurer en informant. Cette nouvelle discipline a été baptisée « infodémiologie » et se définit comme une science de la gestion des infodémies. Selon l’OMS, l’infodémiologie vise à « comprendre le caractère pluridisciplinaire de la gestion des infodémies ; reconnaître des exemples actuels d’infodémie et connaître les outils disponibles pour comprendre, mesurer et combattre le phénomène ; élaborer un programme de recherche en santé publique pour canaliser les efforts et les investissements vers ce nouveau domaine scientifique ; et, enfin, créer une communauté de pratique et de recherche ». Pour ce faire, des profils très variés sont sollicités : experts en épidémiologie, santé publique, mathématiques, applications technologiques, sciences sociales, journalisme, médias, marketing, éthique…, tous ont un regard qui peut faire avancer les choses. Ils vont d’ailleurs se retrouver le 11 décembre 2020, lors d’une Conférence mondiale sur l’infodémie, organisée par l’OMS.
Le rationnel face à l’émotionnel
« Nous avons déjà formé des gestionnaires de l’infodémie », détaille le Dr Sylvie C. Briand. A savoir : 150 personnes dans 63 pays différents, qui vont pouvoir mettre en œuvre les outils mis à leur disposition, à commencer par les façons d’approcher et écouter le public. « L’ennemi, c’est le virus, pas les populations », ajoute le médecin de l’OMS. Avis partagé par Caroline Faillet, fondatrice et directrice du cabinet de conseil Opinion Act. Pour elle, « il faut éviter que les croyances se développent et circulent plus vite que les connaissances de ceux qui savent. Il faut que ces savants soient plus influents, sur les réseaux, que les émetteurs de fake news ». Il faut donc démêler le vrai du faux. Faire le tri. Mais quid des hébergeurs ? Quid de la diffamation ?... Beaucoup de questions restent encore sans réponse. Et brûler les étapes serait une erreur. Dans le domaine scientifique, on avance à tâtons, « car ce n’est jamais tout blanc ou tout noir », souligne Caroline Faillet. Surtout lorsque le rationnel fait face à l’émotionnel. La journaliste Brigitte Fanny Cohen parle, elle, de « cacophonie ». « Car les fake news et l’information scientifique circulent en même temps », dit-elle. Et ce d’autant que tout le monde a son propre fil d’info en continu, à commencer par les alertes qui arrivent sur un smartphone. Face à ce surplus de nouvelles en temps réel, Brigitte Fanny Cohen invite à « prendre le temps du recul ». De quelle façon ? « Par exemple, en écoutant les émissions qui décryptent les infos et pointent les intox. Il faut exercer son esprit critique, avoir le réflexe d’une défense intellectuelle par rapport aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux », suggère la journaliste. « Travaillons ensemble ! » préconise pour sa part le Dr Sylvie C. Briand : « Journalistes, spécialistes de la communication, professionnels de santé, scientifiques, politiques… ensemble, on fera plus vite et mieux pour lutter contre l’infox. » Caroline Faillet approuve « cette idée d’associer les disciplines ». Mais elle prône, en plus, « le retour d’un enseignement des techniques de dialectique et de rhétorique ». Une façon d’inciter à préciser son écriture, le sens des mots, des formules, aiguiser son langage, raconter le juste pour mieux dire le vrai.
Anne Eveillard pour la FNIM
« Quand l’infodémie santé s’invite dans le débat ! » - Rencontre organisée par le Festival de la Communication Santé le 24 novembre 2020, en partenariat avec l’ISCOM dans le cadre de son grand forum de la communication avec le soutien institutionnel d’Elsevier Masson, de la FNIM et de l’Observatoire de l’Information Santé.
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