La part des informations consacrées à la santé et le nombre de journalistes santé n’ont jamais été aussi élevés que dans les années 90. Les journalistes médecins apportent une certaine caution à l’information médicale vulgarisée, rassurant autant les lecteurs que leurs rédactions. Ils vont jouer un rôle important lors des affaires sanitaires à venir.
Affaires et scandales à répétition entraînent une politisation de la santé
Scandale de la « vache folle », cultures OGM, amiante, etc., les années 90 voient s’accroître les réoccupations sur la gestion des risques sanitaires. Le champ de la santé s’élargit au juridique, au politique, mais aussi à l’économie avec « le trou de la sécu ». La succession dans les médias d’affaires mettant gravement en cause la sécurité de médicaments largement utilisés et les effets secondaires redoutables de certains traitements comme ceux du sida vont entraîner la défiance de l’opinion vis-à-vis des laboratoires, des institutions qui délivrent leur autorisation de mise sur le marché (AMM), des professionnels de santé et des politiques. L’affaire Crozemarie et le scandale de l’ARC sont sous les feux des projecteurs. La « Liste noire des hôpitaux », qui paraît en 1997 dans Sciences et Avenir, interpelle les Français et les autorités de santé.
Affaire du sang contaminé : le journalisme santé d’investigation est né Des médecins et des politiques sont mis en examen et des établissements condamnés à la suite de l’affaire du sang contaminé en 1999, faisant « vaciller les fondements de l’organisation sociale du monde médical […] Il cesse ainsi d’être un pouvoir clos et inattaquable », écrit la journaliste Sylvie Sargueil. Si la plupart des journalistes santé couvrent le scandale du sang en relatant les faits, la jeune génération se montre plus critique. Proches des experts et des responsables institutionnels et
politiques, les journalistes du Monde vont divulguer régulièrement des nouvelles en exclusivité, ayant un quasi-monopole du scoop et contraignant les autres médias à reprendre leurs informations. Indépendant et plus critique vis-à-vis des pouvoirs en place, davantage grand public, le journalisme santé donne une large part aux enquêtes et divulgation de documents exclusifs produits par les institutions publiques. On assiste à la démédicalisation de l’affaire : l’information, alors traitée par les chroniqueurs judiciaires et politiques, prend un nouveau tournant lorsque les éditorialistes comme Serge July (Libération), Alain Duhamel (Europe 1) ou Jean-François Kahn (L’Evénement du Jeudi) s’en emparent. Ces personnalités ont une forte crédibilité auprès de l’opinion, leurs propos sont largement repris par les radios dans les revues de presse matinales.
Malades, associations de patients et victimes se font entendre. Les émissions de télévision scientifiques et médicales qui avaient un objectif d’information sont désormais concurrencées par des émissions de société comme « Ca se discute ! » qui donnent une large part aux témoignages des malades. Les malades du sida puis du cancer, considérés comme des experts, au même titre que les professionnels de santé, vont avoir un rôle actif dans la diffusion, voire le contrôle de l’information, notamment au moment des États Généraux du cancer en 1998. Leur témoignage fait autorité. En 1994, les principales chaînes de télévision soutiennent le Sidaction
avec 23 millions de téléspectateurs. Le Téléthon mobilise France 2 et France 3 depuis 1987. La journaliste Martine Allain-Regnault anime de nombreuses émissions spéciales sur TF1 et présente Savoir Plus santé avec François de Closets sur France 2. TF1, France 2, France 5, LCI, France Inter, France Info, Europe 1, France Inter, etc., les médiatiques Michel Cymes, Alain Ducardonnet, Jean-François Lemoine et Brigitte Millaud présentent les principales émissions de santé à la télévision et à la radio. L’année 98 verra la naissance de « C’est au programme », animée par Sophie Davant sur France 2, tandis que Le Magazine de la santé (France 5) voit le jour avec un duo de médecins, les Drs Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse. Les « affaires » boostent l’audience et les ventes des médias. Avec la multiplication des chaînes (TNT) et des émissions de santé ou d’information générale, la course à l’audience est déclarée.
2000, la bascule vers le numérique
Une révolution s’annonce : l’accès du plus grand nombre aux ordinateurs, puis aux smartphones et tablettes, va permettre à de nouvelles cibles d’accéder à l’information en accès libre sur Internet. L’ADSL (Internet à haut débit) va permettre le développement spectaculaire de la diffusion de l’information en vidéo sur Internet. La population française est de plus en plus instruite. Les malades veulent en savoir davantage. En 2000, Doctissimo, première plateforme collaborative dédiée à la santé, s’adresse directement aux patients avec notamment la création des premiers forums de discussions. Une quantité de sites santé se naissent comme Auféminin/
Santé AZ, sortes d’encyclopédies apportant des notions vulgarisées, plus ou moins complètes, sur toutes les maladies et traitements… Les sites médias se développent dès 1994/1995, notamment ceux des Échos, de Libération, du Figaro et celui du Monde qui va créer des Pure
players - entreprises dont l’activité est exclusivement menée sur Internet - comme Le Post, puis Le HuffingtonPost. Le Web 2.0 est ainsi, avec la participation des internautes, à l’origine du journalisme citoyen. Les quotidiens gratuits - Métro, Direct Matin, 20 minutes - apparaissent en
2002, touchant de nouveaux lecteurs, les jeunes et les femmes. Ils bousculent une fois de plus le modèle des médias traditionnels, provoquant de leur part une levée de bouclier. Les réseaux sociaux apparaissent en France avec LinkedIn en 2003, puis Facebook en 2005, utilisé alors
essentiellement par les associations de malades et enfin Twitter, en 2006.
Les malades occupent le devant de la scène
La démultiplication de nouveaux médias -même s’ils ne sont pas toujours accessibles à tous- vient complexifier la compréhension de l’information : sites Internet, journaux gratuits, réseaux sociaux. La santé concerne de plus en plus la société : des maladies comme le cancer, et le sida deviennent des maladies chroniques. Certains médecins et professeurs de médecine, souvent
auteurs à succès, profitent de cette demande médiatique tentaculaire pour commenter l’actualité santé à chaud, même si elle ne concerne pas leur champ d’expertise… Les malades sont sur tous les plateaux de télévision et s’emparent des réseaux sociaux. Ils sont à la recherche de toujours plus d’informations. Une nouvelle relation médecin-malade est en train de se dessiner.
À suivre…
Stéphanie Chevrel
Source : https://www.visite-actuelle.fr/